Le risque où on ne l’attend pas et quand on ne l’attend plus

La crise bancaire – réputée terminée – a montré que les journalistes livrent des informations incomplètes ou erronées. Le danger pour les épargnants ne se situe plus vraiment dans les banques mais chez les assureurs.

Rappelons d’abord les grandes lignes du fonctionnement des banques.

Les banques prêtent :

  • De l’argent qui n’existe pas par la grâce de leur licence bancaire (c’est le principe « les crédits font les dépôts »)

  • De l’argent qu’elles empruntent sur les marchés en émettant des obligations bancaires. Dans ce cas, elles empruntent aux investisseurs institutionnels (assureurs et fonds de pension) et à leurs déposants. Elles les rémunèrent à un certain taux et prêtent ensuite à un taux plus élevé.

  • L’argent des dépôts à vue qui, en principe, ne leur appartiennent pas

Donc les banques prêtent bien plus que les dépôts qui sont pourtant supposés être disponibles à tout instant pour le client.

Les banques prêtent en général sur une durée longue, mais pourtant quiconque est en droit d’exiger instantanément ses dépôts en compte courant.

 « Instantanément » ou « à vue » est cependant devenu moins rapide. Si vous voulez faire un gros virement, on vous pose beaucoup de questions ; pour des retraits en espèces, on vous demande un préavis, etc…

Si vous avez un compte rémunéré, ce compte est en général « à terme ». C’est-à-dire que vous vous êtes engagé à y laisser votre argent un certain temps. Votre dépôt est alors devenu une obligation bancaire.

Récapitulons : si tout le monde veut retirer son argent en même temps, une banque ne peut pas payer tout le monde et cela crée une panique bancaire (bank run) qui se propage comme le feu à une coulée d’essence. Ça se termine mal, en explosion.

L’ordre de préséance des créanciers

Quand tout va mal, les créanciers ne sont pas logés à la même enseigne, il existe un rang de priorité pour récupérer son argent (plus généralement ce qu’il en reste) :

  • Les déposants en compte courant (qui ont prêté gratuitement) sont premiers sur la file d’attente

  • Ensuite viennent les déposants qui ont des comptes rémunérés

  • Puis arrivent les créanciers selon des appellations telles que seniors, juniors ou même mezzanine. Pour simplifier disons que ceux qui ont accepté de prêter à des taux peu élevés sont prioritaires. Ceux qui ont réclamé le plus d’intérêt sont moins bien classés 

  • En dernière position, les actionnaires qui ont mis au pot du vrai argent, argent qui fait partie des « fonds propres » de la banque.

Des milliers de pages de réglementation pour stabiliser l’instable

Le système bancaire actuel repose sur donc un mythe :

  • Le principe dit des « réserves fractionnaires » permet aux banques de prêter les dépôts à vue et même bien plus

  • Mais ces mêmes dépôts à vue sont supposés être disponibles à tout instant pour les clients des banques.

Pour faire croire à ce mythe, il faut des milliers de pages de réglementation écrites dans un jargon impénétrable, le plus souvent en langue anglaise. La Banque centrale européenne ne se donne même pas la peine de traduire de nombreux documents techniques (exemple ici).

La réglementation dite de Bâle, impose aux banques de ne pas prêter plus de 22 fois leurs fonds propres. Le ratio de solvabilité considéré comme le plus important est celui qui compare les fonds propres aux engagements ; les fonds propres doivent représenter 4,5% des engagements.

La réglementation parle de ratio Core Tier 1 : fonds propres durs en regard des engagements « pondérés des risques ».

Le montant de fonds propres figure au bilan sous le nom de « Total Common Equity Tier One Capital ». Les engagements figurent au bilan sous le nom de « liabilities ». Je reprends ici la terminologie des normes comptables internationales.

L’expression « pondérés des risques » appelle un commentaire. Ainsi, une obligation souveraine est considérée comme un risque nul. Si une banque prête à son État de tutelle ou à un État de l’Eurozone, elle n’a pas à geler de fonds propres.

Selon la réglementation de Bâle 2, le ratio de solvabilité minimal était de 2%. C’est la crise de 2008 qui a conduit à durcir les règles.

Pourquoi désormais exiger un ratio de 4,5% ? et pourquoi pas 10% ou 20% ? Aucune raison. La seule règle rationnelle serait d’exiger 100% des dépôts à vue en fonds propres. Ainsi tous les déposants pourraient partir simultanément s’il leur en prenait l’envie.


L’absurde engendre l’absurde

Avec la « pondération des risques », on touche du doigt une autre incongruité. Dans un marché libre et spontané, le rendement est en principe le reflet du risque. Si le rendement que vous touchez est élevé, cela indique que le risque que vous encourrez l’est aussi. Si le risque est nul, le rendement est alors très faible. Le taux (ou le rendement) est le résultat de la confrontation entre acheteurs et vendeurs. Les vendeurs ont besoin d’emprunter, les acheteurs ont besoin de placer.

Certes, le marché se trompe parfois mais la quantité d’intervenants fait que le marché se trompe moins que les fonctionnaires des instances dites de régulation. Ces derniers fixent des ratios de solvabilité « au doigt mouillé » selon la force du vent contraire ou favorable. Le marché risque son propre argent, ce qui n’est pas le cas des fonctionnaires des instances de régulation.

Aujourd’hui, par exemple, « le marché » estime qu’il est plus risqué de prêter à l’Italie qu’à la France et plus risqué de prêter à la France qu’à l’Allemagne. C’est ce que reflètent les taux des obligations souveraines. Mais en « pondération des risques », ces différentes obligations souveraines sont supposées à risque nul.

La faillite de la Silicon Valley Bank est due à la dépréciation des bons du Trésor américain, considérés comme l’actif le plus liquide et le moins risqué qui soit.

Parler de « pondération des risques » consiste donc à dire que le marché ne fait pas son travail et qu’une cohorte de fonctionnaires est plus apte à percevoir les risques...

Quand une banque insolvable rachète une banque en faillite

Crédit Suisse était en faillite.

UBS est insolvable selon les critères de réglementation.

Quand une banque insolvable achète une banque en faillite, peut-on considérer que la situation soit apurée ?

UBS est insolvable selon les normes comptables IFRS si l’on en croit son dernier rapport financier du 31 décembre 2022 (chapitre 3 de l’Annual Report 2022).

Fin 2022, UBS affichait 45,457 Mds$ de fonds propres (Total Common Equity Tier One Capital) pour 1 047,146 Mds$ d’engagements. Ratio : 4,3 %, soit en-dessous des 4,5% réglementaires.

Cela n’empêche pas les régulateurs, les agences de notation et les employés de la Banque nationale suisse de dormir sur leurs deux oreilles et de prétendre que le danger a disparu.


Les autres maillons faibles : Deutsche Bank et la Société Générale

Deutsche Bank et la Société Générale ont également été secouées par les marchés qui estiment que ce sont deux banques à risque. Il est vrai que ces deux banques ont des ratios fonds-propres-sur-engagements faibles.

Déstabiliser une banque vulnérable est relativement facile. Supposons que vous jetiez votre dévolu sur une banque cotée dont l’action cote 10 :

  1. Vendez l’action à découvert (vous n’avez pas cette action mais vous vous engagez à la vendre au prix de 10 dans un délai de quelques jours. Pour exécuter cet ordre on va vous demander un dépôt de garantie) 

  2. Simultanément, acheter les CDS (credit default swap : produits dérivés d’assurance sur la faillite de la banque). Ces produits protègent les détenteurs d’obligations

  3. Si vous avez suffisamment de liquidités à consacrer à cette opération, l’action chute, le CDS monte car de plus en plus de gens veulent se couvrir d’un défaut de cette banque. Disons que l’action baisse à 5.

  4. Les avis négatifs des analystes propagent l’inquiétude à la vitesse de la mise en ligne de leurs avertissements. Les déposants paniquent et retirent leurs dépôts, ce qui fait encore plonger les ratios de solvabilité.

  5. Revendez alors avec profit vos CDS.

  6. Simultanément, rachetez l’action pour 5 pour la revendre au prix de 10 comme le stipule votre contrat de vente à découvert et récupérez votre dépôt de garantie.

Engrangez vos profits. « No pain, big gain ».

Deutsche Bank et la Société Générale sont probablement des maillons faibles, mais tous les maillons sont faibles. Dans un système de réserves fractionnaires, aucune banque ne peut survivre à un retrait massif et simultané des dépôts. Simplement, les spéculateurs s’attaquent aux plus gros poissons.

Depuis le début de l’année, les banques européennes ont enregistré des retraits à hauteur de 214 Mds€. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une panique. Simplement, depuis la hausse des taux, les déposants ne laissent plus dormir leur argent sur leurs comptes courants et se dirigent vers des produits mieux rémunérés.


Quoiqu’il arrive, les banquiers centraux assureront la garantie des dépôts.

Pour une simple raison : s’ils ne le faisaient pas, alors ce serait vraiment la panique et le système bancaire et monétaire entier s’effondrerait. Or, ce système fait leur prospérité. Ils feront donc tout pour le maintenir. « Whatever it takes », avait dit Mario Draghi.

Dans un prochain article, je détaillerai pourquoi le risque de voir votre épargne disparaître est plus important chez un assureur que dans une banque.

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