Fausse croissance et dette publique

Le PIB et la croissance sont deux statistiques sur lesquelles les politiciens et les investisseurs institutionnels fondent de nombreuses décisions. Pourtant, la croissance du PIB d’un pays n’implique pas nécessairement la croissance de la richesse de ses habitants.

Tout investisseur est attaché à la croissance et tout le monde cherche à placer son argent dans des entreprises en croissance. Dans le cas d’une entreprise, il est facile de voir si son chiffre d’affaires, ses clients, ses bénéfices augmentent. La spéculation consiste à déterminer si les tendances favorables vont se poursuivre. Personne n’aurait l’idée saugrenue de dire qu’une entreprise est en croissance lorsque sa dette, ses factures envers ses fournisseurs ou sa masse salariale augmente.

Pourtant, c’est à ce genre d’absurdités auxquelles nous avons droit en macroéconomie car l’alfa et l’oméga de toutes les statistiques que nous utilisons est le PIB (Produit Intérieur Brut) et son évolution positive est considérée comme la croissance de la richesse du pays ou de la zone économique considérée.

Beaucoup d’éléments sont ensuite comparés au PIB, notamment la dette publique. Si les banques centrales déterminent les taux à court terme[i], elles ne maîtrisent pas, en temps normal, les taux à long terme[ii]. L’évolution de ces taux dépend de l’appétit des investisseurs pour les émissions de dette souveraines[iii]. Or nous atteignons un point critique : la dette publique est de moins en moins indolore au fur et à mesure que les taux longs montent.

Mon collègue américain Joël Bowman s’amusait récemment du dernier chiffre américain de croissance du PIB :

ce nombre magique, sur lequel repose beaucoup de choses, qui est prédit, pronostiqué, conjecturé, agrégé, torturé, moyenné, annoncé, révisé et re-révisé ad nauseam chaque trimestre […] La plupart des gens tendent à penser que le PIB est une sorte de mesure de performance définitive crachée par une puissante machine complexe, qui témoigne de façon fiable, irréfutable et quantifiable de la santé et de la vitalité de ce que l’on nomme « économie ».

Qu’est donc le PIB, cet instrument de mesure de l’économie et comment s’articulent la « croissance », l’inflation et la hausse des prix ?

Le calcul par la « valeur ajoutée » est la norme

Il existe officiellement trois méthodes pour calculer le PIB d’un pays ou d’une région donnée :

1.     Recenser les dépenses

2.     Recenser les revenus

3.     Calculer la valeur ajoutée : valeur des biens et services produits diminuée de la valeur des biens et services utilisées pour les produire

En théorie, ces trois méthodes devraient conduire à des résultats équivalents. En pratique, l’ONU a imposé une règle commune à tous les pays : le calcul par la valeur ajoutée.

Eurostat contrôle les chiffres à l’échelle européenne. En France, l’INSEE collecte les données, réalise les calculs et emploie pour ce faire 80 personnes, mais d’autres fonctionnaires sont aussi contributeurs[iv].  

Le chiffre définitif - dont la précision en France est de ± 0,2% - n’est connu que trois années plus tard. 

Les biais et les points faibles

Les données traitées par l’INSEE proviennent de chiffres déclaratifs mais aussi de sondages et d’enquêtes réalisés auprès des entreprises.

Comme l’avoue spontanément l’INSEE[v]  un embouteillage crée du PIB (TVA sur les carburants, surcroît d’activité dans l’extraction et le raffinage). Même si les biens ou services échangés ont été produits avec de la valeur ajoutée, tout échange commercial - pas synonyme de création de richesse.

Comme l’explique Bill Bonner dans son dernier ouvrage Gagner ou perdre, il y a trois types d’échange :

·      Gagnant-gagnant : les deux partis gagnent à échanger. Je vais chez le boulanger parce qu’il fait du meilleur pain que moi. Mon intérêt est de me consacrer à mon propre métier. Mon boulanger gagne de l’argent en vendant du bon pain et moi aussi en travaillant à autre chose.

·      Gagnant-perdant : vous vous faites braquer. Le malfrat est gagnant, vous êtes perdant.

·      Perdant-perdant : l’entreprise de votre cousin est en perte. Il pense pouvoir redresser la situation avec un investissement de 200. Il met 100 et vous complétez en lui prêtant 100. Un an après son entreprise fait malgré tout faillite. Votre cousin et vous avez chacun perdu 100. 

Seul le premier type d’échange est réellement créateur de richesse. Le calcul du PIB est donc pollué de multiples échanges neutres ou appauvrissants (comme les embouteillages). 

Parfois bien sûr, l’échange ne pourra être qualifié de gagnant-gagnant que lorsque de l’eau aura coulé sous les ponts. Le temps sert de révélateur. Ce qui au moment du contrat était espéré gagnant-gagnant se révèle gagnant-perdant. Ainsi, la voiture d’occasion que vous avez achetée pensant faire une « affaire ». À l’usage, vous constatez tristement qu’elle ne cesse de tomber en panne. Gagnant : le vendeur. Perdant : vous.

Quand la dette publique devient de la richesse

Malgré toutes ces incertitudes, l’INSEE n’hésite pas à écrire :

Le PIB qui mesure la richesse produite (VA) correspond donc également à l’ensemble des revenus distribués, mais aussi à la consommation et à l’investissement et donc à la dépense.

La dette publique, qui permet de distribuer des revenus inexistants et de dépenser de l’argent qui n’a pas été gagné par des contribuables, vient gonfler le chiffre du PIB. Mais la croissance de la dette d’un pays est-elle un symptôme de croissance de la richesse de ce pays ? Certainement pas. Or, sans véritable croissance de la richesse, comment les pays lourdement endettés acquitteront-ils les intérêts croissants de leurs dettes ?

Revenons à notre point de départ. Investiriez-vous dans une entreprise dont la dette gonfle plus vite que le chiffre d’affaires depuis cinquante ans ? Estimeriez-vous que cette entreprise soit en croissance saine ? Visiblement, les doutes commencent à naître chez les investisseurs institutionnels, acheteurs de dettes souveraines, qui recommencent à traiter différemment l’Allemagne, la France et l’Italie. 

En réalité, il existe un lien direct entre dette publique, « croissance molle » et inflation comme je me propose de le justifier dans une prochaine chronique.

[i] Sommairement, les taux directeurs représentent le prix à payer par les banques pour créer de l’argent

[ii] Les opérations dites d’assouplissement quantitatif consistent pour une banque centrale à racheter les titres de dettes déjà émis par son État de tutelle pour créer une demande factice et faire ainsi baisser les taux des emprunts nouvellement émis.

[iii] Si l’appétit des investisseurs est faible, les taux montent et inversement. Classiquement, on explique que les taux baissent en cas de crise par le fait que les investisseurs délaissent les actions au profit des obligations d’État jugées sûres.

[iv] Direction générale des finances publiques, Agence France Trésor

[v] Note explicative intitulée Comprendre la croissance économique téléchargeable sur ce lien 

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