Le risque de votre épargne chez les assureurs

Les hausses de taux sont une menace pour les assureurs qui sont censés garantir la totalité de leurs engagements. En cas de menace de leur solvabilité la loi Sapin 2 les autorise à geler tout remboursement. Est-ce un risque vraiment sérieux ?

La semaine dernière je vous parlais du risque de votre argent dans les banques. Je terminais sur une conclusion optimiste : les banquiers centraux assureront la garantie des dépôts.

« Pour une simple raison : s’ils ne le faisaient pas alors ce serait vraiment la panique et le système bancaire et monétaire entier s’effondrerait. Or ce système fait leur prospérité. Ils feront donc tout pour le maintenir. Whatever it takes, avait dit Mario Draghi. »

Le danger le plus menaçant ne se situe donc pas dans les banques même si le système bancaire - qui repose sur un levier de 20 [1]- est instable et dangereux. La menace se situerait plutôt chez les assureurs qui gèrent les 1 874 Mds€ de l’assurance-vie, support d’épargne très populaire. Les fonds dits « en euros », à capital garanti pour le souscripteur, représentent 1 454 Mds du total.

Si la crise actuelle dégénère parce que les hausses de taux sont mal digérées, votre capital sera peut-être garanti mais la date de son retour ne le sera plus.


La hausse des taux se transforme en moins-value

Les assureurs sont à part dans le système financier. Ils ne créent pas d’argent à partir de rien, contrairement aux banques. Ils n’ont pas droit au « levier ». Autrement dit, 100% de leurs engagements doivent être garantis.

Supposons un assureur qui couvre jusqu’à 100 M€ de sinistres divers auprès de nombreux clients. La loi le contraint à avoir 100 M€ d’actifs en face de ses engagements. 

Ces actifs peuvent être des capitaux (capitaux propres et réserves), des immeubles, du foncier et même des obligations souveraines réputées très sûres. Concernant les immeubles, de nombreux assureurs possèdent encore un impressionnant parc locatif dans de très beaux bâtiments bien situés.

Dans le cadre de l’assurance-vie, les assureurs couvrent le « risque » (si l’on peut dire du point de vue du client) de vie. Si vous êtes toujours vivant à une échéance donnée, ils vous garantissent de retrouver un capital ou une rente (dans le cas où vous avez souscrit des fonds dits en « euros »). Si vous décédez, ils s’engagent à transmettre votre épargne à ceux que vous aurez désignés. La plupart des contrats vous autorisent aussi à retirer de l’argent sous forme de rachats ou d’avances.

Plus des deux tiers de ces contrats (77%) sont investis en obligations. Depuis plus de trente ans, les taux baissaient, ce qui arrangeait bien les affaires des assureurs.


Évolution en % du rendement de l’obligation française à 10 ans

Source

Jusqu’en 2021, lorsque les assureurs devaient vendre des obligations avant leur échéance, ils matérialisaient une plus-value.

Depuis 2021, la situation est inversée : s’ils veulent vendre des obligations émises depuis 2012, qui rapportent moins de 2,777%, ils matérialisent une moins-value. Pour tenir leur promesse de « capital garanti » et financer cette différence, ils doivent taper dans leurs réserves.


Le calcul des moins-values latentes

Selon Goodvalueformoney, un site prescripteur de contrat d’assurances-vie, la situation des assureurs serait la suivante à fin février 2023 :


Montant des encours 1 874 Mds€

77,6% de fonds en euros 1 454 Mds€


Ces fonds en euros sont constitués à 60% d’obligations d’État et 40% d’obligations de grosses entreprises bien notées et la duration est en moyenne de 6 à 8 ans.

La duration est une donnée propre au marché obligataire. Dire qu’une obligation a une duration de 7 ans, signifie qu’une hausse de taux de 1% entraînera une baisse de la valeur du titre de 7%. 3% de hausse de taux font chuter le titre de 21%. Cela fait 305 Mds€ de moins-values latentes… C’est énorme à l’échelle de la France.

Un article des Échos, cite le fondateur de Goodvalueformoney, Cyrille Chartier Kastler qui se livre à ce calcul en considérant que seulement une partie de l’actif des fonds en euros est en obligations soit 1 100 Mds€ ; il estime que la remontée des taux a engendré 12% à 15% de chute. Il aboutit à une moins-value latente de 130 Mds€ à 165 Mds€. 

Cela reste énorme :  16 fois plus que les 5 Mds€ de perte du trader Jérôme Kerviel qui avaient failli faire basculer la Société Générale en 2008.

Cette question de l’assurance-vie est un problème limité à la France et à l’Italie, deux pays dans lesquels :

  • ces supports sont populaires comme produit de capitalisation

  • les conditions de sortie sont les plus souples 

  • les finances publiques sont dans un état désastreux ce qui fait que les intérêts des obligations émises par la France et l’Italie montent plus et plus vite que ceux des emprunts émis par des pays mieux gérés.

Capitalisme de connivence, encore et toujours…

Pour protéger les assureurs qui ne pourraient pas faire face aux demandes de retraits, la France a promulgué la loi dite Sapin 2 [2] qui les autorise à suspendre les remboursements en cas de « menace grave et caractérisée ». Cette loi prévoit des durées de gel de trois mois renouvelables.

Le législateur a donc choisi de protéger et déresponsabiliser les assureurs plutôt que les épargnants. Un cas typique du capitalisme de connivence que dénonce souvent Henry Bonner. Car ces contrats d’assurance-vie en euro permettent de caser la dette française dans les mains d’épargnants peu avertis.

Les « autorités prudentielles » manifestent un silence assourdissant sur le sujet. Tout comme les agences de notation dans le cas des banques ou de la dette publique restent muettes. Personne ne parle d’auditer les réserves des assureurs pour s’assurer qu’elles couvrent les moins-values latentes.

Pour le moment, malgré la hausse des taux et le fait que les livrets rapportent nettement plus que les vieux contrats, la foule ne se bouscule cependant pas vers la sortie. Selon l’article déjà cité des Échos, la décollecte nette a atteint en janvier et février 4,2 Mds€, à comparer à 29,8 Mds€ en 2022.

Quel serait le niveau de taux d’intérêt à 10 ans qui donnerait envie aux clients d’aller ailleurs pour trouver des placements plus rémunérateurs ? 5% et plus selon certains mais 3,5% selon Cyrille Chartier Kastler, indique encore l’article des Échos.

À mon avis, un autre paramètre est à prendre en compte : l’inflation. Plus la différence entre l’inflation et la rémunération des contrats en euros sera élevée plus les gens seront tentés d’en sortir.

Contrairement aux banques, les assureurs ne seront pas sauvés par la création monétaire. Ils le seront par le blocage des remboursements ou la transformation des avoirs en dette d’État par des points de retraite de la CNAV (comme cela s’est fait en Pologne [3] avec la complicité des assureurs y compris AXA).


Deux signaux d’alerte à surveiller

Le passage du cap des 3,5% de taux d’intérêt sur la dette française serait périlleux risquant de déclencher une crise de la dette publique. Enfin, des achats d’or par les fonds de pension et assureurs serait un signe non pas de bank run mais de money run : fuite devant la monnaie et crise monétaire. 

Notre « transaction de la décennie » vous permet de limiter vos risques en basculant sur des contrats en unités de compte (fonds actions) investis dans une industrie injustement délaissée : le secteur pétrolier. (Découvrez bénéficier de notre « transaction de la décennie » et conseils pour vous protéger en cliquant ici.)

Pour finir, il n’est jamais trop tard pour acheter de l’or, assurance contre l’avilissement de la monnaie.

[1] Pour 4,5 € de fonds propres, une banque peut donc prendre 100 € d’engagements (prêts, garanties, etc.).

[2] Promulguée fin 2016

[3] https://atlantico.fr/article/decryptage/et-l-air-de-rien-la-pologne-commenca-a-confisquer-l-epargne-retraite-des-polonais-simone-wapler

 
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